Un psychologue noir pour les Noirs ?

Faut-il un psychologue noir pour traiter les patients Noirs ?

Cette question peut paraître étonnante, mais j’ai été amenée à me la poser assez récemment. Avant d’ouvrir mon cabinet, je n’avais pas vraiment mesuré l’impact de ma personne ni de mes origines sur les potentiels patients. J’avais plutôt envie de me rapprocher des gens et de leur apporter une aide individuelle. Je voulais travailler avec toute personne ayant besoin d’aide, sans distinction de genre et surtout sans distinction ethnique.

Aujourd’hui, et quasiment chaque jour depuis un an, des personnes m’appellent et me disent directement: « Je vous contacte car je suis à la recherche d’une psychologue noire et on m’a suggéré votre nom« . Pourquoi cet attrait soudain pour les psychologues noirs ? Ou plutôt, pourquoi cette recherche spécifique d’un psychologue noir quand on est Noir ?

Comme je le raconte dans l’épisode 31 de Kiffe ta race « le coût mental du racisme« , quand j’ai commencé mes études de psychologie, j’avais l’impression que très peu de personnes noires connaissaient ce domaine. D’ailleurs, mes parents non plus ne connaissaient pas cette profession et personne dans mon entourage proche ou lointain n’avait fait d’études en psychologie. Les personnes noires que je côtoyais avaient l’habitude de dire que la psychologie « ce n’est pas pour nous« , « c’est pour les Blancs » ou bien « c’est pour les riches » ou « c’est pour les fous« . Aujourd’hui, j’ai l’impression que le sujet s’est un peu plus démocratisé.

Alors oui, d’un côté je dirais qu’il y a cette démocratisation de la profession au sein de la population noire et de moins en moins de honte à aller consulter un psychologue. Mais cela n’explique pas pourquoi demander spécifiquement un psychologue noir ? Pourquoi éthniciser la question ?

Voici quelques pistes de réponses issues de mes réflexions et de ce que je vois au quotidien :

  • Le refus de la violence du déni

Certaines personnes noires m’ont rapporté de mauvaises expériences avec des psychologues blancs. Beaucoup m’ont raconté avoir fait face au déni lorsqu’ils/elles ont raconté des situations de racisme ou de discriminations. Ils ont entendu des réflexions du type : « Vous vous faites des idées » ; « Il ne faut pas voir le mal partout« . La réalité de l’expérience du racisme ou de la discrimination est complètement remise en question. Ce qui est vécu comme une violence supplémentaire et non nécessaire.

D’autres personnes rapportent des questionnements totalement décalés qui révéleraient la totale méconnaissance des réalités culturelles. Exemple : « Il faut dénoncer vos parents et porter plainte contre eux« . Ainsi, le simple fait que le patient soit Noir et le psychologue Blanc, est une situation qui peut créer des barrières. Les patients noirs se disent qu’avec un psychologue noir, ils auraient moins de chances de faire face à ce déni qu’ils considèrent comme non nécessaire et surtout en totale contradiction avec leur désir d’aller mieux.

  • Un psychologue noir serait gage d’une meilleure compréhension

Il existerait effectivement un lien très fort entre origine ethnique du patient et origine ethnique du thérapeute. Les patients noirs présupposent qu’avec un psychologue noir, la communication serait plus facile, plus fluide, qu’il y aurait moins de choses à expliquer, à décortiquer. Et ce, même si le psychologue noir en question n’est pas spécialiste des questions de stéréotypes, de racisme ou de discriminations. Sa simple qualité de femme ou d’homme noir.e suffirait à les apaiser.

Cette connexion entre patient et thérapeute permettrait ce qu’on appelle une alliance thérapeutique. C’est à dire ce lien supplémentaire, indépendant de l’efficacité des méthodes utilisées, qui permettrait au patient d’aller mieux. Ce lien correspond par exemple à la confiance que le patient a envers son thérapeute, le degré de liberté qu’il ressent pour s’exprimer sur tel ou tel sujet, le sentiment de ne pas être jugé. Demander un thérapeute noir quand on est Noir, c’est quelque part être conscient de l’importance de cette alliance thérapeutique.

« J’ai déjà été suivie par un psychologue blanc. Et je sentais que je me censurait. Je ne pouvais pas tout lui dire. Je ne sais pas l’expliquer, mais je me suis beaucoup contenue. Au final, je n’ai pas l’impression que ce suivi m’ait servi à quelque chose ».

  • Un rôle modèle positif

Le psychologue noir représenterait un rôle modèle positif. C’est à dire une représentation positive de ce que l’on voudrait être ou de ce vers quoi nous voulons nous rapprocher. Connaître l’existence d’un psychologue noir va à l’encontre des stéréotypes et des barrières que nous nous mettons. En tant que Noir.e, nous nous disons que finalement, nous avons aussi le droit de consulter un psychologue et qu’il y a des chances pour que cette personne nous aide à aller mieux. Ce domaine nous paraît donc tout de suite plus accessible.

Ainsi, le fait de rencontrer un psychologue noir ferait tomber les barrières concernant le champ de la psychologie. D’ailleurs, une fois la peur de consulter un psychologue dépassée, de nombreux patients sont satisfaits d’avoir franchi le pas.

En ce qui me concerne, les choses ne sont pas aussi délimitées. Je ne pense pas que dans le domaine de la psychologie il doive y avoir un appariement selon l’origine ethnique. Non. Et dans ma pratique quotidienne, bien au contraire et pour mon plus grand plaisir, j’accompagne des personnes de toutes origines : des Blanc.h.es., des Maghrébin.e.s, des Asiatiques, des Métis.s.es et des Noirs bien sûr. 

Quid des Maghrébins, des Asiatiques, etc. ?

«Ça fait longtemps que je voulais consulter. Et je voulais absolument un.e psychologue d’origine japonaise comme moi. Mais quand je vous ai entendue dans « Kiffe ta race », je me suis reconnue dans ce que vous disiez et je me suis dis que c’est vous qu’il me fallait »

Alors s’il y a autant d’arguments pour consulter un thérapeute noir quand on est Noir, je peux extrapoler et me demander si cela ne devrait pas être le cas pour les patients d’origine maghrébine qui voudraient un thérapeute Maghrébin ; des patients d’origine asiatique qui voudraient un thérapeute Asiatique, etc.

Une femme d’origine japonaise m’a dit : « ça fait longtemps que je voulais consulter. Et je voulais absolument un.e psychologue d’origine japonaise comme moi. Mais quand je vous ai entendue, je me suis reconnue dans ce que vous disiez et je me suis dis que c’est vous qu’il me fallait ». Des patients de toutes origines se reconnaissent en moi et viennent me consulter. Il n’y a pas plus grande gratification pour moi. Ce que j’en comprends, c’est que ma qualité de femme racisée (ou racialisée) est perçue comme un indice d’ouverture sur l’autre et de sa compréhension. En tant que personne non blanche, je suis donc perçue plus facilement comme une alliée par les toutes les personnes non blanches quelle que soient leurs origines.

Par ailleurs pour moi, ce n’est pas parce que l’on est Noir que l’on va forcément comprendre et être efficace pour accompagner un patient noir. Car bien évidement, il y a des thérapeutes Noirs, des Maghrébins ou autres qui n’en n’ont rien à faire de ces questions-là. En tant que patient, il faut pouvoir s’autoriser à changer de thérapeute si celui-ci ne nous convient pas.

Pour conclure, à la question « Faut-il un psychologue noir pour les patients Noirs ? » la réponse serait « oui, si c’est ce que veut le patient ». Car après tout, le patient consulte lorsqu’il a des difficultés et une souffrance qu’il veut dépasser. Pour cela, il a besoin d’être à l’aise et de se sentir compris par son thérapeute. Et l’origine ethnique de celui-ci peut entrer peut être perçu, à tort ou à raison, comme un indice d’une meilleure compréhension.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Dites-moi ce que vous en pensez en commentaires.

En attendant, prenez soin de vous.

3 commentaires sur « Un psychologue noir pour les Noirs ? »

  1. Je me reconnais tellement dans ces lignes. J’aimerais pouvoir être suivi mais je ne veux pas que l’on me juge et encore moins qu’on m’accuse d’être une victime. Alors je me suis dit qu’il me fallait un psychologue noir. Mais en y réfléchissant, j’ai pensé qu’un psychologue noir pourrait être pareil voire pire qu’un blanc. C’est du genre : Et s’il pensait que parce que lui avait réussi, moi je le peux aussi forcément et que c’est donc une question de mauvaise volonté ? Et que par la suite dans sa manière de traiter mon cas, il me comprenait mal, il m’orientait mal ou aggraves mon problème ? L’exemple de la femme japonaise a répondu à cette question. Je vais faire la démarche auprès de psychologues pour leur demander directement comment ils se positionnent sur la question du racisme : Rachel KHAN ou Rokhaya DIALLO ? « Racée » ou « racisée » ? Humaniste universaliste ou antiraciste ?
    Mais est-ce que les réponses m’indiqueraient vraiment si le médecin serait apte ou non à m’aider ?
    Peut-être qu’une personne blanche universaliste et « colorblind » pourrait m’aider tout autant voire mieux dans la mesure où elle ferait du mieux qu’elle peut pour m’aider à avancer. Je suppose qu’il faut essayer …

  2. Je suis totalement d’accord avec votre avis globale que vous nous partager dans cet article, ainsi qu’avec tout votre travail entier et votre implication dans ce que vous faites!

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