*Crédit photo : Yasin Yusuf / Unsplash
« Je travaille comme enseignante à l’Education Nationale dans une zone REP. Un jour à table, un collègue dit « ce qui est bien avec vous les Noirs, c’est qu’on peut vous frapper et on ne verra rien sur votre peau ». Il m’a prise en exemple et a dit que sur moi ou sur un élève noir, il peut y aller, on ne verra rien sur notre peau et qu’il ne risquerait pas d’être inquiété par la justice. Sur le moment, je n’ai rien dis. J’ai été trop choquée. C’est comme si tout le poids de l’esclavage et de la colonisation étaient tombés sur mes épaules. Je crois qu’il a touché à de l’intime et ça m’a comme… brisée sur le coup ». Aminata*, 42 ans.
Ce qu’il y a de particulier avec le racisme, c’est qu’on ne sait jamais quand ni comment il va s’exprimer. Il peut venir de partout et surtout de personnes que l’on ne soupçonnerait pas.
Le mot « racisme » fait peur et on a tendance à penser qu’il ne concerne que les actes ouvertement hostiles de rejet voire de violences. Même s’il est émotionnellement difficile d’y faire face, ils ont l’avantage de ne pas susciter de doutes sur la conduite à tenir.
La réalité c’est qu’au quotidien, la plupart des actes racistes s’expriment de manière détournée, subtile, indirecte… C’est ce qu’on appelle le racisme ordinaire.
Il est tellement ancré qu’il est difficile de savoir comment y répondre. D’abord parce qu’il y a un doute sur sa nature « était-ce raciste ?« , « est-ce que j’ai bien compris? » mais aussi parce que la personne qui l’exprime ne le fait pas toujours avec hostilité. Au contraire, elle le fait souvent passer comme une forme d’humour ou accompagne ses propos d’un semblant de bienveillance. Que l’on soit victime ou témoin, les questions que l’on se pose sont les mêmes.
Comment réagir au racisme ordinaire ? Y a-t-il une bonne manière de répondre ? Quels sont les avantages et les inconvénients des différentes stratégies ? Quelles en sont les conséquences sur le moment et sur le long terme ?
C’est à toutes ces questions que cet article tentera de répondre. Tous les témoignages relatés ici proviennent d’un sondage réalisé il y a quelques semaines auprès de mes abonnés. La liste présentée ici n’est évidemment pas exhaustive. Si vous avez d’autres exemples, n’hésitez pas à les partager en commentaire.
*tous les prénoms ont été modifiés.
Réaction 1 : Ne rien dire…
La réponse par le silence est la première et la plus naturelle qui puisse arriver. Contrairement à ce que l’on peut penser, elle ne fait pas toujours preuve de faiblesse. Plusieurs raisons peuvent nous conduire à répondre par le silence :
- Le conformisme : parfois, pour ne pas se sentir rejeté.e du groupe, on fait comme les autres et on se conforme à leur réaction. Et lorsque le groupe ne se sent pas concerné par la réflexion raciste, n’est pas heurté, il ne dit rien… et nous non plus.
- La crainte ou la peur de dire quelque chose qui ne conviendrais pas, d’avoir une réaction hostile qui aurait des conséquences dommageables pour sa carrière. Lorsque l’on est dans une situation précaire (CDD, intérimaire, stagiaire, alternant…), ne rien dire apparaît être la solution la plus sage.
- Par choix : le silence peut aussi être un choix. Celui de ne pas entrer dans la bataille car il faut choisir ses combats. Le combat du racisme étant long et éprouvant, vous pouvez de vous protéger et laisser l’autre faire face à ses agissements.
- Par surprise : on ne s’attend tellement pas à la réflexion raciste que sur le coup, nous ne savons pas quoi dire ni comment le dire. Parfois elle est tellement choquante que ne nous sommes en état de sidération, comme dans l’exemple d’Aminata cité en introduction.
Avantages : Répondre par le silence permet de ne pas alimenter le sujet de discussion, mais surtout de ne pas s’épuiser. Je dis souvent qu’il faut choisir ses combats, et parfois, il n’est pas nécessaire de s’investir dans un combat qui n’en vaut pas la peine.
Inconvénients : Un fort sentiment d’insatisfaction peut survenir par la suite. Vous ruminez, cogitez, vous vous refaites le film en vous disant « J’aurais dû répondre comme ceci ou comme cela« . Vous pouvez aussi regretter ou culpabiliser d’avoir laissé passer ce moment. Surtout que le silence peut aussi donner l’impression aux autres que l’événement n’était pas grave alors qu’il l’était pour vous. Ce qui représente une certaine charge mentale avec laquelle vous devez composer.
Moi j’ai pas d’humour au travail (en vrai j’en ai) et je suis fermée à toute conversation sur mes origines (je ne dis même pas d’où je viens) ou sur la façon dont je fais mon shampooing (oui on m’a déjà posé la question, et j’ai répondu avec dédain « avec de l’eau et du shampooing, et toi ? »). J’ai compris que c’est ce qu’il fallait faire, parce que quand on leur laisse la porte aux blagues, après il ne se contrôlent plus. Donc je passe pour la relou, pas drôle, avec un sale caractère (stéréotype de la femme noire). J’ai un collègue pour qui c’est tout l’inverse. Tout le monde sait qu’il est antillais. Il laisse passer les blagues racistes les plus déplacées. Un jour, on lui a dit sur le ton de l’humour « retourne dans ton champs de coton ». Il n’a pas réagi… Du coup, il est intégré, sociable, les gens l’adorent et ont bien volontiers envie de travailler avec lui. Ce qui n’est pas mon cas. Il a donc évolué plus vite que moi (…). Je m’acharne pour être irréprochable côté boulot afin qu’il n’y ait pas d’autres solutions que de me faire avancer. J’ai appris à connaître ce collègue et j’ai compris qu’en fait, ça représentait une charge mentale hallucinante de supporter ces blagues et qu’il saturait. Moi je sature car je dois être en permanence au max pour compenser le fait que je sois moins sociable. (…). Donc deux comportements différents, mais une charge mentale importante des deux côtés. Hanna, 42 ans.
Réaction 2 : Dire quelque chose… mais quoi ?
Parfois, il n’est pas possible de ne rien dire. Mais lorsque l’on décide de parler, que dire ? Comment faire pour que cette prise de parole soit utile pour moi et pour l’autre ? Et si je suis témoin, ai-je le droit de dire quelque chose ?
- Suivre sa colère : une fausse bonne idée
Les réflexions racistes sont sources de stress et de colère. Vous pouvez être tentés de répondre sur un ton agressif pour exprimer votre rage et le sentiment d’injustice.
Répondre en état de colère a l’avantage de soulager sur le moment, mais le risque de regrets est bien trop grand. De plus, les répercussions sur votre bien-être et votre évolution professionnelle peuvent être négatives, surtout si vous êtes en situation de précarité.
La colère peut aussi être contenue et devenir un moteur. Transformer la situation à son avantage peut-être bénéfique et vous aider à briser tous les plafonds de verre. Mais le racisme étant structurel et systémique, il arrive toujours un moment où vous vous rendez compte que tout cela n’a servi à rien.
« Pour ma part les remarques racistes ne m’ont jamais été adressées clairement en tant que telles. Mais des attitudes telles que : s’adresser à moi comme un enfant immature, utiliser la familiarité plus facilement, questionner mes capacités intellectuelles etc.(…) J’ai réagit en donnant ma démission une première fois, qui a été refusée, avec chantage. Une fois réalisé que je n’aurais pas d’autre choix, j’ai mis le trauma en boîte et me suis blindé. Fort de ce qui m’a toujours été transmis depuis mon enfance en tant que noir « travailler et faire trois fois plus d’efforts que les autres », j’ai turbiné comme jamais. Heures sup , implication au delà du raisonnable pour mes clients, en plus de l’aide à mes collègues…en 5 ans je suis devenu le meilleur de l’entreprise, avec le plus gros portefeuille client. (…) Mais je n’ai jamais pu évoluer…au final, en désespoir de cause, j’ai fini par démissionner ». Erick, 44 ans.
- Faire preuve de répartie
L’idéal serait de trouver LA punchline, LE mot d’esprit qui permettra de répondre tout en donnant une leçon à l’autre. Cette stratégie peut paraître difficile car il faut réagir vite, avoir de la répartie et une bonne dose de confiance en soi.
« Je suis en mode miroir. Tu me touches les cheveux, je fais pareil. Tu me fais une remarque, je réponds « oui, et ? » ou je fais semblant de ne pas avoir compris en disant que j’ai cru que c’était une remarque raciste mais non ce n’est pas ton genre ! » Stella, 24 ans.
« Je suis noire en entreprise et un jour une collègue m’a demandé si je voulais une banane sur le ton de la plaisanterie. Je lui ai demandé directement si c’est parce que les singes en mangeait qu’elle m’en proposait ? Immédiatement, elle était confuse, les mots se mélangeaient entre eux. Depuis ce jour, je reste courtoise, diplomate, je l’ignore ». Nina, 38 ans.
Pour développer votre répartie face au racisme au travail, consultez les écrits de Marie Dasylva, coach en stratégie de survie pour personnes racisées. Elle vient de publier son premier ouvrage, « Survivre au taf – Stratégies d’auto-défense pour personnes minimisées », aux éditions Daronnes.
- L’assertivité ou l’art de désigner le racisme comme tel
Les personnes racisées sont les mieux placées pour comprendre et exprimer leur ressenti face au racisme. Etre assertif, c’est dire ce qui est. Il s’agit de désigner une vérité de fait, sans être interrogatif, ni exclamatif, ni impératif.
Après avoir longtemps essuyé les réflexions racistes de mes collègues, du chef de service et de la directrice concernant mon foulard, je suis aujourd’hui en CDI. Au début, aucun de mes collègues ne m’a adressé la parole pendant deux mois. Jusqu’au jour où, en réunion, j’ai fais la réflexion à mes collègues sur ce qui se passait et qu’il y avait du racisme au sein de l’équipe. Personne n’a nié les faits. Lina, 32 ans.
Dans mon ancienne entreprise, mon boss et un collègue se pensaient drôles en imitant l’accent soit disant chinois. Je me suis permis de leur dire « ça y est c’est le quart d’heure raciste? » Ils se sont vexés et ont sorti le fameux » on ne peut plus rien dire ». Je leur ai dit : « si (on peut encore dire quelque chose), c’est pour ça que je vous dit qu’en plus de ne pas être drôle, votre blague est raciste ». Ensuite, silence… Ibrahima, 28 ans.
Avantages : Répondre sur le moment a pour avantage de ne pas ruminer par la suite. Si vous êtes drôle ou marquez les esprits, il est même probable que le comportement en question ne se reproduise plus.
Inconvénients : Cependant, il faut trouver LA punchline qui marquera les esprits et qui ne vous ridiculisera pas. Cela peut prendre du temps et de l’exercice avant de trouver le style qui vous convient. L’autre inconvénient est de passer pour la personne qui n’a pas d’humour, qui est en colère voire qui est agressive.
Je n’ai pas été victime mais témoin. J’ai travaillé dans un SYNDICAT, au Pôle Juridique censé accompagner les salariés. Je parle d’un dossier à mon N+1, il me demande si le salarié en question parle français ? Je ne comprenais absolument pas la question car non pertinente. Je lui demande de se clarifier. Il me dit que son nom a une connotation étrangère donc il se demandait si le salarié parlais français. Je lui ai directement dit que c’était déplacé. Une anecdote entre autres. Pour les autres, j’étais celle à éviter car perçue comme étant trop agressive. Isabelle, 35 ans.
Réaction 3 : Jouer le naïf ou l’art de prétendre ne pas avoir compris
Lorsqu’on ne veut pas rester silencieux face aux agissements racistes et qu’en même temps il est compliqué de savoir quoi dire, il existe une technique simple qui convient à tous : jouer le naïf / la naïve.
Il s’agit simplement de poser des questions, de demander à la personne de reformuler ou d’expliquer ce qu’elle a voulu dire.
Avantages : Cette stratégie n’engage à rien concrètement. Vous ne serez pas mal à l’aise de poser la question de manière tout à fait « innocente ». Ainsi, toute la responsabilité de l’interprétation reviendra à la personne qui a prononcé la parole raciste. Vous la pousserez ainsi à faire face à ses stéréotypes, ses préjugés et à les expliquer.
Inconvénients : Il n’y pas beaucoup d’inconvénients à utiliser cette stratégie. Il faut avoir la patience d’écouter les explications parfois bancales de votre interlocuteur. Un autre désavantage serait éventuellement de passer pour quelqu’un de naïf sur le moment. Mais quand votre interlocuteur, ou les témoins, se seront rendus compte de la situation, l’embarras changera de camp.
J’ai suggéré à une de mes patientes d’utiliser cette stratégie au travail. étant la seule femme noire de toute l’unité, ses collègues se permettent de temps en temps de faire remarques stéréotypées sur sa couleur de peau, ses moeurs ou sa culture. étant de nature réservée, elle ne se voyait pas réagir avec véhémence, colère ni même avec humour.
Voici ce qui est arrivé :
Conversation avec son collègue un jour de canicule…
- Lui : « Tu ne dois pas avoir chaud toi ! »
- Elle : « Pourquoi tu dis ça ? »
- Lui : « Ben… ta peau… vous avez des récepteurs différents des nôtres, donc vous supportez mieux la chaleur non ? »
- Elle : « Ah bon ?! Tu m’apprends quelque chose. Je ne le savais pas »
- Lui: « Si si… j’ai dû lire ça il y a longtemps. Il me semble que votre peau est plus résistante à la chaleur »
- Elle (mal à l’aise): « Je ne l’ai jamais entendu »
- Lui (voyant son malaise) : « Je suis désolé si je t’ai mis mal à l’aise, c’était pas mon but. Je ne sais même pas si c’est vrai ou pas. Je m’excuses ».
Quelques mois plus tard…
- Lui: « J’ai repensé à notre dernière conversation, ça m’a beaucoup travaillé. Je suis vraiment désolé de t’avoir mis mal à l’aise. Je me demande pourquoi j’ai pensé à ça. Je suis en train de me documenter sur les idées préconçues ».
Il lui a ensuite posé des questions sur les stéréotypes et les préjugés. Voilà comment la graine de l’allié a été plantée sans efforts particuliers, pour le bien de toute la société.
Il y a un réel risque à laisser passer le racisme ordinaire au travail. Le harcèlement moral discriminatoire en est un. Alors que chacun, victimes, témoins, managers, personnel RH, dirigeants, soit vigilant à son niveau afin de contrecarrer ce risque.
Et vous, quelle est votre méthode préférée ? Dites-moi tout en commentaires !
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Un avis sur « Comment répondre au racisme ordinaire ? »