Briser un tabou : Le racisme à l’école

« En CE1, moi et un autre élève racisé* étions victimes de notre professeure. Elle a fait la pire chose possible : refuser de nous éduquer. Au lieu d’apprendre à écrire comme les autres élèves, nous deux avions des cahiers de dessins. Pendant que les autres apprenaient à manier les lettres, nous, nous dessinions des lapins ou tout autre chose qui nous passait à l’esprit – et que forcément nous ne pouvions écrire. » (Diarra, 27 ans).

« L’école garantit à tous les élèves l’apprentissage et la maîtrise de la langue française. » (Article L111-1 du Code de l’Education).

*Racisé est un terme théorisé par la sociologue Colette Guillaumin dans les années 70′ et désigne les personnes susceptibles d’être victimes de racisme.

Penser l’impensable : Il y a du racisme à l’école

Il y a quelques années, j’ai travaillé en tant que chercheuse indépendante pour une structure qui crée des outils pédagogiques à destination des enseignants. Nous avons travaillé ensemble sur l’impact des stéréotypes et des préjugés dans la relation professeurs-élèves (lire la note de synthèse ici).

Pour faire cette étude, j’ai dû me rendre dans des écoles d’Ile-de-France. Je me souviens très bien d’une enseignante qui a très mal réagit après avoir répondu à mon questionnaire. Comment osais-je, dit-elle, présupposer que les enseignants pouvaient traiter les enfants différemment en fonction de leurs origines ethniques ou sociales ? Ils traitaient tous les enfants de la même manière et ne voyaient pas les couleurs ! Elle a été très émue et très inconfortable. Si elle avait su, elle n’aurait jamais accepté de participer à mon étude.

Après avoir relaté cette anecdote sur mon compte Instagram, j’ai reçu énormément de témoignages de personnes ayant vécu du racisme à l’école.

Les témoignages seuls auraient suffi à écrire cet article.

De la maternelle à l’université, en passant par les classes préparatoires et les écoles de commerce, aucune structure n’est épargnée par le racisme. Il se manifeste à la fois entre les élèves, entre les élèves et les professeurs, entre les professeurs et les parents d’élèves, sans oublier les conseillers d’orientation-psychologues, les assistants sociaux et le personnel administratif.

A toutes les échelles que représente cette grande institution qu’est l’Éducation Nationale avec ses 1,2 millions d’agents, des situations de racisme surviennent tous les jours à des degrés que vous êtes loin d’imaginer.

De quels comportements parle-t-on ?

De la simple remontrance aux violences psychologiques voire physiques, certains enfants subissent des faits graves aux conséquences désastreuses.

Brimades, humiliations, punitions disproportionnées, empêchement d’aller vers l’orientation de son choix, découragements, sous-estimation des compétences, accusations de tricherie, redoublements abusifs, violences psychologiques et parfois physiques, des décisions injustes que l’administration refuse de corriger. Le racisme se manifeste de multiples manières et à toutes les étapes de la scolarité.

Dans cet article, je commencerais par vous présenter les témoignages d’élèves et de professeurs victimes de racisme dans leur établissement scolaire ainsi que les conséquences subséquentes, puis nous évoquerons des solutions pour savoir quoi faire concrètement si cela vous arrive ou arrive à votre enfant, avant d’explorer des pistes de réflexion pour l’Education Nationale. A la fin de l’article, vous trouverez des ressources pour aller plus loin sur cette question.

1. Le racisme existe à tous les niveaux

Le racisme est une idéologie aux deux postulats : (1) la croyance en la distinction des groupes humains en races distinctes selon leur apparence physique et (2) la hiérarchisation de ces groupes dans laquelle les Blancs occupent le haut de l’échelle et les Noirs tout en bas, au milieu les autres groupes (Asiatiques, les Maghrébins, etc.).

Cette idéologie prend vie grâce à des stéréotypes (croyances partagées à propos des comportements, compétences et moeurs des groupes considérés) et des préjugés (jugements a priori, attitudes souvent négatives) qui peuvent mener jusqu’à la discrimination (traitement inégal et injuste) voire à la violence à caractère raciste.

Aux Blancs sont associées des croyances positives (ex: beaux, intelligents, compétents, etc.) et aux Noirs, ou aux non-blancs en général, des croyances négatives (ex: pas intelligents, moches, paresseux, violents).

Ces croyances et attitudes influencent la perception, les jugements et la prise de décision des individus entre eux, comme le montrent les témoignages suivants.

En maternelle & à l’école primaire :

« Je me souviens d’une institutrice de maternelle qui me détestait, elle me mettait dans un état ! Je sentais que son attitude était différente par rapport aux autres élèves qui étaient à 98% Blancs. Elle m’a même giflée ! A cette époque, je me sentais bloquée et nulle. D’autant plus que l’école m’avait envoyée chez le psychologue qui en avait déduit que j’étais attardée, et avait dit à mes parents que « je ne ferais jamais d’études et que je ne pensais qu’à jouer ». J’avais 5 ans ! L’année d’après, j’ai changé d’école et je me suis retrouvée avec des gens qui me ressemblaient. Aujourd’hui, j’ai un Master II en Droit du travail & GRH. Je pense que j’ai encore beaucoup de doutes, mais ce qui est certain, c’est que c’était eux le problème » (Maëlle, 28 ans).

« Moi c’était clairement de la xénophobie au lieu du racisme. Sous prétexte que j’étais étrangère à l’île, ma maîtresse n’hésitait pas à me donner des claques ou de me griffer au menton et jusqu’à m’arracher la peau. Elle me mettait dans le groupe des « nuls » alors que je ne faisais qu’une seule faute aux dictées. La jolie petite brune aux yeux bleus était son chouchou, elle avait toutes ses faveurs. Je ne pouvais même pas en parler à ma mère car j’étais bien consciente des soucis qu’elle avait et je ne voulais pas lui en rajouter ». (Raja, 33 ans)

« Je pense à deux moments que je n’arrive toujours pas à comprendre : (1) Être privée d’aller visiter l’Exposition universelle 2002 qui avait eu lieu en Suisse parce que la condition pour y aller était de corriger une dictée. Chose faite mais étant donné qu’il « restait une tâche d’encre », j’ai dû rester dans la classe du niveau d’en-dessous pour faire des exercices alors que toute ma classe y est allée, y compris ma soeur jumelle. Ça a créé une grosse confusion pendant longtemps, tant c’est absurde et injuste ; (2) l’année suivante avec la même enseignante, le principe étant que si tu finis un exercice avant les autres, tu peux choisir un jeu en attendant. Je termine rapidement un exercice, en même temps que les «forts». Sauf qu’au lieu de choisir un jeu, l’enseignante est venue sous mon bureau prendre la pochette qui contenait toutes mes fiches. Elle est retournée devant toute la classe, a ouvert la pochette et a laissé tomber toutes les feuilles au sol en disant que c’était «le bordel». J’ai dû me mettre par terre pour tout trier. Une humiliation que je n’oublierais jamais. J’ai eu tellement honte que je n’ai pas osé le dire à ma mère. Maintenant je suis psychologue mais j’ai effectué mon parcours scolaire et universitaire dans la douleur et l’auto-sabotage. Heureusement que ma mère m’a répété que j’étais capable toute mon enfance sinon je n’aurais jamais pu croire en moi » (Nadya, 31 ans).

Au collège :

« Mon frère a vécu ça toute sa primaire. Il était souvent suspecté de tricherie parce qu’il était bon élève. À partir du milieu du collège, le positionnement de ses professeurs a changé. Ils lui en demandaient beaucoup plus que les autres parce qu’il était bon élève. Je me souviens encore de son désarroi quand ils lui ont fait redoubler sa 3ème parce qu’il était en dessous de ses capacités selon ses professeurs (il avait 14 de moyenne pourtant !) » (Salima, 35 ans).

C’est ce qu’il y a de fascinant avec le racisme : pile ils gagnent, face nous perdons.

« Au collège, ma voisine (blanche) avait triché en recopiant sur moi pendant un devoir sur table. Mais c’est moi qui me suis faite accusée de tricherie de façon totalement arbitraire par la prof au moment du rendu des copies. Ma voisine a eu une bonne note, celle que je devais avoir, et moi pas. Pas de négociation possible avec la prof qui était persuadée que la tricherie venait de ma part. Je me suis entendue dire le fameux « c’est comme ça et pas autrement ». Et bien sûr ma voisine ne s’est jamais dénoncée » (Louisa, 25 ans).

« J’ai été victime de racisme au collège de la part de mon professeur principal de techno. Il m’a fait redoubler mon année de 3ème alors que j’avais eu mon brevet. Il ne pouvait pas concevoir qu’une jeune fille noire vivant à la campagne soit orientée en Lycée Général. Souvent, les personnes racisées étaient orientées vers les lycées professionnels les plus pourris de la ville. J’ai redoublé uniquement pour cette raison. Il m’a dit “je te fais passer seulement si tu vas en pro”. J’ai donc perdu une année. Mais l’année d’après je suis finalement entrée en lycée général, obtenu mon BAC mention bien puis une Licence d’anglais à La Sorbonne. Et quelques années après, j’ai été engagée en tant que professeur d’anglais contractuelle dans mon ancien collège, où j’ai pu retrouver ce même prof ! J’étais devenue sa collègue et gagnais le même salaire que lui. Il ne m’a jamais dit « bonjour » ni même adressé un seul regard tout le long de mon contrat » (Marianne, 36 ans).

Au lycée :

« Au lycée, les profs de mon frère lui disaient qu’il était nul, qu’il ne ferait jamais rien de sa vie. Pourtant, il avait le don des maths mais pour ses profs, il a toujours été l’arabe incapable. On a du le faire redoubler et le changer de lycée pour qu’il puisse faire une seconde générale. Il a fini par faire l’Ecole Normale Supérieure. On a eu une énorme chance d’avoir des parents très vigilants par rapport aux études, sinon on ne serait jamais allé aussi loin. L’éducation nationale n’encourage pas les gens comme nous à faire des études prestigieuses. » (Inès, 30 ans).

« A l’âge de 17/18 ans je suis allée consulter l’assistante sociale de mon lycée car mon père avait l’intention de me marier de force aux prochaines vacances scolaires. Il était difficile pour moi d’en parler. Personne n’était au courant dans mon entourage. Je prends mon courage à deux mains pour en parler, trouver une solution et échapper à ce mariage. La bonne femme me répond naturellement : « Vous devriez suivre votre père, il n’y a pas d’autres solutions pour les personnes comme vous ». (Kadiatou, 41 ans).

Dans l’enseignement supérieur :

« J’ai raté un partiel un jour car je n’avais pas reçu l’e-mail pour le changement de salle et d’horaire. Une autre fille a aussi raté le partiel pour le même problème. Nous sommes allées voir le prof qui nous a dit que c’était ok, qu’on garderait nos notes de mi-semestre. Quelques jours après, la situation se retourne contre moi. Le prof décide de me faire repasser le partiel sinon il me met 0/20. Je ne comprends pas, je refuse car nous avions un accord. Je demande à l’autre élève si c’est pareil pour elle aussi. Elle me dit que pas du tout, le prof l’avait jugée assez digne de confiance et assez assidue en cours pour garder sa note. Pourtant, j’ai été présente à tous ses cours aussi. Je précise que l’autre élève était blanche. J’ai fais un recours auprès de l’administration qui ne m’a pas soutenue. Le prof a insisté et m’a mis 0/20. Je n’ai pas validé mon semestre et ait été obligée de passer aux rattrapages. » (Séverine, 24 ans).

Tous ces témoignages montrent à quel point des enseignants (et autres adultes) se laissent totalement dépasser par leurs stéréotypes et leurs préjugés. Persuadés que les enfants aux origines extra-européennes sont incompétents, pas intelligents ou qu’ils n’ont pas d’avenir, il leur est impossible d’envisager l’inverse.

Surviennent alors des comportements tentant de rétablir l’ordre (la hiérarchie) en lequel ils croient (paroles blessantes, sanctions, notes injustes, redoublement abusifs, etc.). Cet enfant, même s’il a eu son brevet, ne doit pas aller en filière générale car ce n’est pas sa place.

Les élèves peuvent alors aller dans le sens de la volonté des adultes, et ainsi confirmer leurs attentes: c’est ce que l’on appelle les prophéties auto-réalisatrices ou effet pygmalion (plus de détails ici).

2. La question de l’orientation

En France, les filières professionnelles sont perçues à tort comme étant moins prestigieuses que les filières générales (en Allemagne par exemple, ce n’est pas du tout le cas). Le moment de l’orientation est un moment clé dans la scolarité remettant en question le déterminisme social : les personnes non-blanches sont moins présentes dans les filières prestigieuses, ou perçues comme telles, et ça doit le rester pour une partie du personnel d’éducation qui sera plus enclin à leur proposer (si ce n’est imposer) le choix des filières professionnelles.

« Ma sœur voulait faire médecine. On lui a dit qu’il fallait d’abord nettoyer les hôpitaux avant d’être médecin. » (Inès, 30 ans)

« J’ai dit en 3ème que je souhaitais devenir architecte, j’étais une excellente élève et on m’a répondu : les études sont longues et très chères ! J’ai abandonné le projet pour ne pas gêner mes parents. Mais en réalité pourquoi m’a-t-on dit ça ? » (Alicia, 29 ans).

Au collège, après des heures de recherche à la médiathèque, j’ai été voir la conseillère d’orientation pour discuter de quel chemin prendre pour atteindre mes objectifs après le brevet. Je tombe des nues quand elle me dit que « les gens comme toi doivent aller en pro, faire un bac pro vente ou secrétariat ». J’étais dans un collège REP+ avec 90% de personnes racisées. Mais j’ai toujours fais partie du top 5 des meilleures élèves avec 16 de moyenne. Elle insiste et me dit « le niveau est facile et vous trouverez vite du boulot ». Je lui dit que j’avais envie de travailler en laboratoire, peut-être faire de la recherche, ou encore faire du Droit comme mes grandes soeurs. Elle me dit que de toutes façons mes soeurs allaient échouer et qu’il fallait pas que je me fie aux gens qui venaient nous parler de leurs métiers parce que ça ne nous était pas accessible (des juges, entre autres, étaient venus nous parler de leurs métiers). Je suis ressortie de cet entretien confuse et lessivée. J’ai pris conscience qu’on ne pouvait pas faire confiance à tous les maillons du système. On a appris par la suite qu’elle répétait tout en salle des profs. Elle disait : « De toutes façons, ils n’iront pas loin, ils ne passeront pas le bac et ont déjà tous des problèmes de près ou de loin avec la justice« . J’ai quand même fais une prépa, 2 ans de droit, un BTS en analyses biologiques et biotechnologies. Après quelques années à travailler en laboratoire d’aide médicale à la procréation, je me réoriente actuellement en pâtisserie ». (Chaïma, 29 ans) 

« Ma prof principale a convoqué ma mère car j’ai dit que je voulais être médecin (ce que je suis aujourd’hui). Elle trouvait cela trop dur (ambitieux ?) pour moi et voulait m’informer qu’il y avait un concours à l’entrée, ce que je savais déjà. Elle me conseillait de faire Sciences médico-sociales car soi-disant, c’était beaucoup plus adapté pour moi ». (Safyetou, 41 ans).

« Au lycée, j’ai décidé que je voulais faire quelque chose dans le commerce international mais je ne savais pas quoi exactement. Ma mère m’a dit d’aller voir une conseillère d’orientation pour en savoir plus. Au début, la dame était cool, mais à la minute où je lui ai dit que j’avais fait mes recherches et que je voulais faire un BTS dans un Lycée renommé, elle a commencé à me rabaisser, à dire que mes notes ne suffiraient pas. Elle a dit : « Ils prennent beaucoup de gens, donc c’est sûr qu’ils ne te prendront pas, tu as visé trop haut, tu devrais faire un BTS dans notre lycée ici bla bla bla ». Et tout ça, elle l’a dit sans jamais avoir vu mes notes. Elle a supposé tout ça juste en me regardant! Je ne l’ai pas écoutée et j’ai été acceptée dans le BTS en question. » (Mariama, 37 ans)

Les compétences des élèves racisés sont ainsi très souvent sous-estimées en raison des stéréotypes associés à leurs groupes : perçus comme pas intelligents, pauvres, violents, paresseux, ils se retrouvent souvent dans des situations où ils doivent prouver qu’ils ont les moyens (financiers et intellectuels) de leurs ambitions.

3. Des conséquences à long terme :

Etre fréquemment confronté à des situations de racisme et de discriminations a un impact négatif sur la santé mentale et physique des victimes.

Que ce soit en raison d’actes uniques mais suffisamment graves, ou à la suite d’une répétition de situations dites de « racisme ordinaire », les conséquences peuvent durablement impacter le bien être et le parcours de vie des adultes en devenir.

Les témoignages font état de : manque de confiance en soi, stress et anxiété, incapacité à se projeter dans un futur positif, absentéisme, décrochage scolaire, dépressions et tentatives de suicide.

En primaire, ma prof m’a accusée d’avoir triché sur Marine, ma voisine. Pour elle, c’était impossible que je réussisse mes exercices seule. Ça c’était déroulé en matinée, juste avant midi. Elle m’a gardée 30 min de plus pour me forcer à avouer. Je n’ai pas arrêté de pleurer. Je suis rentrée chez moi pour manger puis au retour elle n’a pas lâché l’affaire. A la sortie de 16h, elle m’a encore gardée… pour que j’avoue ce que je n’avais pas commis. J’ai menti et j’ai dis que j’avais triché alors que pas du tout… Cette prof c’était une terreur, elle avait même une fois jeté mon cahier du jour par la fenêtre prétendant que c’était tenu n’importe comment… bref elle m’a terrorisée ! Ce n’est qu’à l’Université que j’ai commencé à avoir confiance en moi au niveau scolaire, sinon dans ma tête, j’étais toujours persuadée que j’étais nulle. J’en n’avais jamais parlé à personne. J’étais excessivement timide et gênée à l’époque. Elle a été comme ça avec tous les enfants racisés de mon quartier, elle leur a presque tous fait redoubler« . (Awa, 28 ans)

« Mon petit frère a subi du harcèlement de la part du CPE et un autre prof de son Lycée pendant 2 ans. Ce qui a débouché sur un décrochage scolaire (exclusion avec conseil de discipline à quelques jours du bac), une tentative de suicide et une longue dépression. » (Louisa, 25 ans).

« Mon petit frère a vécu du racisme en maternelle et a dû consulter par la suite, on lui a dit qu’il était dyslexique. Je pense que ses symptômes sont dû à ce qu’il a vécu. Nous avons grandi dans une ville de campagne avec au maximum 20 personnes de couleurs. J’ai vu des parents et des enfants être odieux envers l’enfant que j’étais. Donc je pense que ça a aussi été le cas pour mon petit frère qui était plus jeune. Je me souviens de larmes, d’une profonde tristesse et d’un sentiment d’impuissance. Cette situation a eu des conséquences grave sur sa vie : difficultés scolaires, manque de confiance en soi, absentéisme, sensation de ne pas être à sa place et autres. » (Mélanie, 25 ans)

4. Les professeurs racisés sont aussi victimes de racisme

« Le remède à toutes ces injustices n’est-il pas d’infiltrer le système et de devenir ces profs pour éviter ces actes racistes ? J’étais prof il y a quelques années et en lisant ces témoignages horriblement poignants, je n’ai qu’une seule envie, c’est de reprendre le métier d’enseignant. Je veux montrer à mes enfants que moi aussi en tant que femme noire je peux transmettre le savoir et faire barrière à toutes ces inégalités auxquelles ils auront malheureusement avoir à faire face. » (Haby, 32 ans).

Les professeurs racisés peuvent aussi être confrontés à des situations de racisme dans leur établissement. Que ce soit de la part des parents d’élèves, des élèves eux-mêmes ou des collègues.

Ils ne savent pas toujours comment réagir et se sentent rapidement en minorité. Face au déni, ils préfèrent se taire plutôt qu’argumenter. Malgré tout, ils tiennent bon pour les élèves racisés et leurs familles, rassurés de voir une personne qui leur ressemble occuper la place prestigieuse du professeur. Une représentativité qui permet de trouver du sens et de supporter le quotidien.

« Franchement c’est dur… je garde encore des grosses séquelles psychologiques de mon expérience à l’école. Mais je suis contente d’être prof maintenant et de constater que ma présence en classe contrairement à ce que certains pourraient dire, représente l’universalité et la tentative d’inclusion du maximum d’élèves » (Marianne, 36 ans)

« Il y a 2 ans j’étais dans le 5e arrondissement de Paris et là-bas les seuls Noir-e-s que les enfants fréquentent sont des nounous et des femmes de ménage. Le jour de la rentrée, une élève de 4 ans m’a demandé pourquoi j’étais noire ? Sous-entendu pourquoi la maîtresse est noire ? J’ai eu dans ce même arrondissement des remarques racistes de la part d’enfants de 8-9 ans mais qui n’en avaient même pas conscience. Ils reproduisent ce qu’ils entendent et ce qu’ils voient à la maison. » (Claire, 25 ans)  

« Je suis enseignante et c’est un vrai problème que tout le monde cache sous le tapis. J’ai connu de longs moments de solitude en salle des profs. Combien de fois j’ai fuis certaines salles des profs, mordu ma langue, roulé des yeux. Une fois, n’en pouvant plus après une énième remarque, j’ai un peu haussé le ton. Mais bien évidemment, ils ont campé sur leur positions et ça m’a fatiguée, alors j’ai abandonné ce genre de discussions. » (Clarisse, 31 ans)

« J’ai travaillé dans une école primaire et un jour l’assistante de direction a utilisé le mot « chintock ». Je n’étais plus choquée par ce genre de comportements, j’étais déjà au bout du rouleau (…) et bien sûr les collègues blancs n’ont pas réagi… Seule une enseignante racisée (antillaise) a réagi en disant qu’il ne fallait pas utiliser ce terme ». (Jihane, 26 ans)

« J’insiste sur le fait que ce sont les PROFS BLANCS qui ont beaucoup de préjugés et stéréotypes et tiennent aussi des propos racistes. J’ai une collègue qui, pour parler de ses élèves (noirs et arabes) elle dit « les étrangers« . Et mon directeur (qui est d’origine maghrébine) essaye de lui faire comprendre que ce n’est pas parce qu’ils sont noirs ou arabes qu’ils sont étrangers. Ils sont nés en France donc ils sont français ! » (Kamélia, 24 ans)

« Je me concentre sur les enfants et je vois bien que chez eux et chez certains parents, la représentativité compte. J’ai travaillé en REP, certains enfants m’ont déjà fait des remarques comme : « Tu es comme moi », « On se ressemble », « On pense pareil », « On a les mêmes cheveux ». Et certains parents m’ont dit à ce propos : « On est contents de vous avoir« . » (Clarisse, 31 ans).

La représentativité, ou présence de role models, est très importante pour les groupes minorisés. Elle permet la projection dans une position qui n’était auparavant pas envisageable. Et à force de concrétisations et d’explosions des plafonds de verre, elle contribue à réduire les inégalités.

5. Que faire concrètement si vous ou votre enfant estimez avoir été victime de racisme à l’école ?

« Mes années lycées sont tellement « riches » en souffrances, harcèlements du corps enseignant et de la direction, discriminations, humiliations que je ne saurais les écrire. Ma principale préoccupation en voyant que quasi rien n’a changé, c’est comment protéger nos enfants ? » (Fatoumata, 40 ans).

Certains témoignages soulignent le rôle primordial des parents sur la trajectoire et sur la manière de faire face au racisme.

Etre vigilants, écouter son enfant, l’encourager, le soutenir et lui redonner confiance en ses capacités sont des moyens de l’armer face au racisme à l’école. Parler en son nom auprès des représentants de l’autorité, faire les réclamations et/ou le changer d’école si rien ne change sont aussi des actes forts.

Si vous ou votre enfant a été victime de racisme :

  • Vous devez dans un premier temps faire un recours auprès de l’établissement ou du service concerné.
  • Sans réponse satisfaisante, vous pouvez solliciter le médiateur de l’éducation nationale.
  • Si la situation ne se règle pas, vous pouvez écrire au rectorat et saisir la justice en déposant plainte.

Mais encore une fois, sachez que vous aurez affaire à des êtres humains qui peuvent aussi être empreints de stéréotypes racistes et de préjugés bien ancrés.

Processus classique dans le racisme : de victime vous passerez à coupable.

Marianne (à qui on a fait redoubler la 3e alors qu’elle avait eu le brevet) raconte :

 » On a fait un recours en appel afin de reconsidérer la décision. Franchement, ça a été l’un des pires moments de notre vie pour ma mère et moi. Du haut de mes 14 ans, j’ai dû me défendre seule devant un jury d’une dizaine de profs blancs. Je ne me suis jamais sentie aussi jugée de ma vie. C’est vraiment le sentiment dont je me souviens le plus quand j’y repense. Le jugement et le mépris envers ma mère qui elle, était terrifiée. Notre demande a finalement été refusée par le jury et j’ai redoublé ». (Marianne, 36 ans).   

« Il faut arrêter de vouloir faire évoluer des cons. C’est un combat épuisant. Elle a dénoncé des faits, elle a trouvé porte fermée, elle passe à l’échelon supérieur : écrire au rectorat avec copie au ministère et en lettre recommandée avec accusé de réception (max 1,5 page). Parallèlement : plainte pénale. Le harcèlement scolaire constitue une infraction pénale. Ils ne veulent pas voir le racisme, aucun problème pour arriver à nos fins il faut changer de moyens quitte à modifier la qualification juridique des faits : ne parlons pas de racisme, parlons de harcèlement scolaire. Je suis avocate, j’ai défendu une victime et les choses ont changé du jour au lendemain quand l’auteur des faits a été convoqué en présence de ses parents à la gendarmerie. » (Salima, 29 ans).

5. Pistes de réflexions pour le domaine de l’éducation

Le racisme est systémique :

Les stéréotypes et les préjugés sont des croyances et attitudes partagées par une société donnée. Nous les connaissons tous et ils nous influencent tous à des degrés divers.

C’est pour cela que tous ces témoignages nous font penser à une forme de connivence entre les différents organes du monde enseignant. Les inégalités se reproduisent inexorablement, à l’identique et à chaque niveau d’analyse.

C’est ce qu’on appelle le racisme systémique.

« C’est triste mais je suis partagée entre la colère, le dégoût et le soulagement. « Je ne suis pas folle, ils ont vraiment un problème » vs. « je ne suis pas seule à l’avoir vécu». (C’est la petite moi que ça touche). Même si le facteur discrimination se voit et se sent gros comme une maison, je trouve qu’il est parfois difficile de le justifier quand on est la seule famille de Noirs du village. Une partie de moi s’est vraiment demandée si elle ne manquait pas réellement de capacités, tout simplement. À force de tomber sur des enseignants qui répètent les mêmes choses, ils ont peut-être raison, pourquoi ce serait plus parce que je suis noire que parce que je ne suis pas capable ? » (Ndeye, 30 ans)

Pour démanteler ce système dans lequel les personnes non-blanches sont quasi systématiquement moins bien loties que les personnes blanches, il faut une prise de conscience à l’échelle individuelle et globale.

De l’importance de la formation

Les enseignants, le personnel médico-social et administratif, malgré leur volonté de ne pas faire de différences entre les élèves, ne peuvent s’extraire d’un fonctionnement sociétal présent depuis des siècles.

Pour ne pas utiliser les stéréotypes et les préjugés, il faut faire preuve d’une volonté consciente qui peut s’initier et s’aiguiser grâce à une formation sur le sujet.

Entre 2018 et 2020 a été mis en place un plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme au sein de l’Education Nationale. Un plan d’action a été construit pour sensibiliser les élèves, en coopération avec le personnel enseignant, administratif et les associations étudiantes. Ce plan traduit une réelle volonté du Gouvernement de s’attaquer au sujet.

Je n’ai pas trouvé de bilan de ce plan, peut-être est-ce trop tôt. En attendant, pour se former au sujet, les enseignants peuvent aussi recourir aux formations du réseau canopé.

Permettre aux enfants de parler de ce qu’ils vivent :

Nous l’avons vu dans les témoignages, bien que les situations soient graves, les enfants n’en parlent pas forcément à leurs parents. Lorsqu’ils le font et que ceux-ci interviennent, ils font face à un personnel éducatif réticent, remettant en question de la véracité des faits si ce n’est de suggérer une fragilité psychologique inhérente à leur personne.

Un retournement de situation fréquent lorsqu’on aborde les questions de racisme avec des personnes qui ne sont pas sensibilisées ni sensibles au sujet.

« Notre fils de 4 ans a été victime de propos odieux par d’autres enfants en maternelle : « On va te jeter aux toilettes parce que tu n’es même pas blanc », « tu es moche parce que tu es marron caca ». La Directrice et l’enseignante ont refusé de prévenir les parents. Elles ont voulu régler ça entre elles, en disant qu’évidemment notre fils avait mal compris, qu’il était dur de savoir ce qui était vrai ou pas car « ils parlaient sûrement de son manteau ». Et parce que nous avons décidé de nommer et de dénoncer des propos racistes, elle a dit que nous avions créé des problèmes pour rien, que nous retirions toute innocence à notre fils et l’empêchions de grandir en agissant de la sorte. Pendant le rendez-vous, l’enseignante est même allée jusqu’à dire qu’avant, on ne parlait pas autant de racisme et ça allait. C’est à force d’en parler que ça en crée, et qu’on ne peut pas parler de propos racistes à cet âge. Je lui ai proposé des études démontrant l’intégration des préjugés sexistes et raciaux bien avant cet âge-là. Elle m’a hurlé dessus, disant que ça ne l’intéressait pas ! Elle a terminé par nous dire d’envoyer notre fils chez un psy, car s’il en fait des cauchemars c’est que c’est sûrement lui le problème. Elle a dit à mon mari (qui est noir) d’arrêter de mettre son fils en condition d’être victime de racisme. Elle s’est même justifiée en disant qu’on ne pouvait pas la traiter de raciste car son mari est d’une religion différente, puis elle a claqué la porte. Pourtant, on est restés calmes et courtois malgré le procès qui nous était fait. » (Isabelle, 36 ans).

Et pourquoi pas réaliser des ateliers en classe sur le racisme afin de sensibiliser TOUS les élèves ? Car ils sont tous concernés, pas seulement les victimes mais aussi et surtout les potentiels AUTEURS.

Le rejet de l’autre survient très tôt. Ce qui est déplorable, ce n’est pas de remarquer les différences de couleurs de peau, mais d’en faire une raison de rejeter l’autre et de le mépriser.

Et ces croyances s’acquièrent très tôt, avant 4 ans, dans le cercle familial et s’entretiennent dans les différents cercles sociaux qui seront fréquentés par la suite.

Consulter un psychologue :

Nous l’avons déjà dit, le racisme et la discrimination ont un impact néfaste sur la santé et sur le parcours de vie. Il peut être nécessaire à un moment donné de consulter un.e psychologue et il ne faut pas hésiter à le faire.

Je mets ici le témoignage de Laureen. Tellement poignant et représentatif de tout ce qui a été évoqué ici que j’ai décidé de le publier en entier :

« J’aimerais parler de mon expérience au Lycée à Perpignan. De la classe de troisième à la classe de terminale, j’entendais tous les jours des propos racistes. Cela pouvait être du racisme ordinaire du style « T’es mieux avec les cheveux lisses », « On ne te voit pas dans le noir », à des trucs plus violents du style « T’as la couleur de la merde », « Les Noirs vous êtes bons qu’à travailler la terre, c’était comme ça et ça le restera », « On ne va pas se le cacher, ce sont les Noirs et les Arabes qui foutent la merde en France », « On vous a apporté l’éducation en vous colonisant ».

De la seconde à la terminale, à cause de toutes ces attaques racistes, j’ai commencé à détester ma couleur de peau, mes cheveux. Je me renseignais sur des chirurgies du nez et des lèvres pour les amincir, sur des crèmes éclaircissantes. En me voyant dans le miroir, je pouvais aller jusqu’à me frapper.

C’était beaucoup trop à supporter pour une ado en pleine construction de son identité, de son estime de soi… 

En terminale, en classe d’économie, j’ai choisi de faire mon exposé sur le racisme en France, en donnant des chiffres, puis en parlant de mon expérience. Évidemment, j’ai fondu en larmes à la fin. Ma prof d’économie n’a rien trouvé d’autre à me dire que « Tu n’as pas parlé du racisme anti-blanc » et « Il ne faut pas en vouloir à tes camarades, ils sont jeunes et ne se rendent pas compte de ce qu’ils disent ».

Sur le coup, déboussolée, en pleurs, je n’ai pas pu lui répondre. L’histoire a tourné dans tout le lycée. Les profs et la CPE étaient au courant et n’ont rien fait. On m’a dit que je me victimisais, dans l’histoire c’était moi la méchante. Jusqu’à maintenant, j’en veux à cet établissement, à ces profs qui ont préféré défendre le racisme des élèves blancs plutôt que d’écouter les appels à l’aide de leur élève qui subissaient le harcèlement scolaire raciste.

En Terminale, j’ai fait une tentative de suicide, ça a vraiment été les pires années de ma vie, et j’en garde des séquelles psychologiques jusqu’à maintenant. Je n’ai aucune confiance en moi, je n’arrive pas à m’affirmer, je ne sais plus vraiment qui je suis à force d’avoir essayé d’être la personne qu’on voulait que je sois, à force de m’être tu.

J’ai beaucoup de mal à digérer le fait que j’aurais pu littéralement mourir et que des adultes m’aient tourné le dos. Je m’en veux à moi-même de ne pas avoir su répondre, tout en sachant que rien de ce que je n’aurais pu dire n’aurais pu convaincre les élèves quand la professeure elle-même, figure d’autorité, ne voulait pas m’entendre.

Je m’en veux de ne pas en avoir parlé à mes parents, alors que j’avais quelque preuves écrites (même si la plupart des attaques étaient orales), car il y avait largement de quoi porter plainte.

J’ai ensuite commencé à beaucoup m’informer sur l’antiracisme pour pouvoir me défendre à l’avenir. J’ai appris à aimer et à être fière de mes origines et de ma couleur de peau. Aujourd’hui, je suis devenue très engagée pour apprendre à me défendre et j’essaie de ne plus me taire ! 

Je n’ai jamais eu de suivi psychologique, je ne devrais pas m’auto-diagnostiquer, mais je pense très sérieusement être dépressive. Je me scarifiais encore il y a à peine un an, je me faisais vomir, je buvais presque tous les jours, je fumais des quantités de weed (j’ai arrêté il y a 2 mois). J’ai l’impression de ressembler à un monstre des fois, d’être difforme, tout en sachant à la fois qu’on me trouve généralement jolie.

Je suis tout le temps sur mes gardes quand je parle à des gens, tellement que je préfère m’isoler et me couper du monde même si ça me rend malheureuse. Souvent, je fais des crises de panique.

Une des choses les plus difficiles c’est l’impression d’être coincée car :  (1) Je suis la pro pour faire semblant, faire comme si tout allait bien, (2) je viens d’une famille qui considère que les problèmes psy n’existent pas, ça fait 4 ans que ma famille pense que tout va bien alors que j’ai passé des moments très très sombres, notamment pendant le confinement que j’ai passé totalement seule. Et (3) Ils n’ont jamais vraiment pu constater mon état car je ne les vois presque jamais. Je vis en Métropole depuis mes 18 ans pour mes études et eux ont déménagé en Martinique puis en Inde après mon bac.

Ma vie n’a été que succession de harcèlements : du CM2 à la quatrième parce que j’étais considérée comme « moche », puis de la troisième à la terminale parce que j’étais Noire.

J’ai maintenant 22 ans et j’ai l’impression que je ne pourrais jamais passer à autre chose, je sens que je suis peut-être détruite à vie. »

Laureen, 22 ans.

6. Pour aller plus loin :

Voici quelques ressources pour creuser le sujet.

A lire :

Autres articles du blog :

Ouvrages

Rokhaya Diallo, « Comment parler du racisme aux enfants », 2013, Ed: LE BARON PERCHE

Laura Nsafou, « Comme un million de papillons noirs » , 2018, Ed: Cambourakis

Laura Nsafou, « Le chemin de Jada », 2020, Ed: Cambourakis.

Vous pourrez trouver des ouvrages à destinations d’enfants et d’adultes sur le site LEBDO librairie (Les enfants du bruit et de l’odeur).

A écouter :

A voir :

Documentaire, « Noirs en France », France télévisions, 2022.

Les vidéos et les livres « Little Nappy » par Hashley Auguste.

Et vous, avez-vous vécu du racisme à l’école ?

Si vous souhaitez témoigner ou ajouter des éléments que je n’aurais pas évoqués ici, n’hésitez pas à commenter ou à m’envoyer un e-mail.

Prenez soin de vous.

Je tiens à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont témoigné. Sans vous, cet article n’aurait pas pu voir le jour. Merci.

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